Nous avons reçu les textes du témoignage du fils de Paul Morel et de l’intervention de Véronique Decayeux faite au nom de l’ANACR.
Avec sa permission nous publions aujourd’hui l’hommage du fils à son père et à l’homme qu’il fut :
« Chers Parents, Chers Amis, Mesdames, Messieurs,
Je tiens tout d’abord à remercier chaleureusement Monsieur le Maire de Clermont qui nous accueille dans ce bel hôtel de ville pour cette cérémonie.
Cérémonie du souvenir, réunion familiale… Notre assemblée, à la fois officielle et privée, est sans doute atypique. Mais comment dissocier le père, le résistant, l’élu ? Mon père n’a eu qu’une vie, longue certes, mais unique – dans tous les sens du terme.
Le second dilemme est : comment parler d’un homme qui a longtemps rechigné à parler de lui ?!
Je me suis permis, avec beaucoup de modestie, d’emprunter un effet de style à Georges Perec.
Je me souviens…
Je me souviens des départs en vacances à quatre dans la Dauphine débordant de matériel de camping. A quatre, mon père, mes sœurs et moi, car il n’était pas question pour ma mère de s’écarter du jardin.
Je me souviens ne pas avoir pleuré à l’annonce de ta mort, moins parce que nous nous y attendions que parce que nous nous quittions sans regrets. Il y avait eu beaucoup de silences entre nous, mais l’essentiel avait été dit.
Je me souviens que ton chat occupait une place particulière dans la maison.
Je me souviens de la belote du dimanche en famille où tu n’essayais jamais de gagner. Je me souviens de la chasse aux escargots la semaine précédant la fête du village. Je me souviens d’une histoire de chasse au rhinocéros tellement condensée que seul toi et moi pouvions la comprendre.
Je me souviens que tu connaissais par cœur le tableau périodique des éléments de Mendeleïev.
Je me souviens que tu nous racontais avoir été chauffeur d’un marchand de bestiaux en 1938.
Je me souviens que, titulaire d’un CAP d’électricien, tu es devenu quelques années plus tard, au sein des Charbonnages de France, un spécialiste reconnu de la spectrographie de masse. Et que plutôt que d’expliquer ce qu’est cette discipline, tu me pardonneras de raconter cette anecdote : à la fin des années 70, le hasard de nos activités professionnelles nous fait nous retrouver dès potron minet à la gare du Nord à Paris. Tu pars livrer les résultats d’une expertise à Strasbourg ou Bruxelles. Toi qui travaille en short tout au long de l’année, tu as souscrit au costume-cravate. Nous prenons le temps d’un café, et le temps de nous apercevoir que… tu as gardé tes pantoufles. Heureusement, nous faisons la même pointure…
Je me souviens que tu pouvais nager pendant des heures, et que tu as continué à faire des longueurs de bassin bien après 80 ans.
Je me souviens que la couleur de la peau ou la nationalité de tes interlocuteurs t’étaient indifférentes.
Je me souviens que dans ta vie professionnelle ou familiale, homme et femme étaient les deux faces d’une même pièce. Je me souviens avoir lu des messages de tes collaboratrices et collaborateurs qui louaient ton écoute, ta gentillesse, ta disponibilité.
Je me souviens que ta façon de répondre au téléphone donnait immédiatement envie de raccrocher. Je me souviens que tu étais aussi peu sociable que tu étais serviable, et je ne t’ai connu qu’un seul véritable ami.
Je me souviens que lorsque tu allais au cours du soir du CNAM à Paris, tu n’avais plus de train pour rentrer à la maison, et tu campais dans ton labo.
Je me souviens que notre mère n’aimait pas tes acrobaties aériennes et tu as laissé tomber le pilotage des avions de tourisme.
Je me souviens t’avoir vu convaincre ton interlocuteur qu’il existait bel et bien des tasses avec l’anse à droite, et des tasses avec l’anse à gauche. Je me souviens qu’un jour tu as volé – et caché – un rouleau compresseur lors de travaux au CERCHAR.
Je me souviens qu’après le décès de notre mère, nous sommes retournés en Italie à la rencontre des travailleurs saisonniers que vous souteniez pendant la saison des betteraves, et que tu as plus parlé en quelques heures que pendant les cinq jours du voyage.
Je me souviens que tu étais capable de manger une bourriche d’huitres sans le moindre verre de muscadet. Je me souviens que tu devais avoir 80 ans quand j’ai réussi à te faire goûter un armagnac et un cognac.
Je me souviens qu’on ne parlait pas de sentiments à la maison, mais je me souviens que j’ai eu une enfance choyée.
Je me souviens de ton infinie patience, de la tendresse avec laquelle tu as soigné, entouré, soutenu, accompagné notre mère pendant les longs mois où son esprit l’abandonnait peu à peu.
Je me souviens – en fait non, je ne me souviens pas, je découvre après ta disparition que tu as obtenu au CNAM un certificat de physique nucléaire dans le cours de Lew Kowarski qui fut avec Joliot Curie le père fondateur du nucléaire en France…
Je me souviens que tu as sillonné les routes sur un vélo que l’on qualifierait poliment de « vintage » aujourd’hui. Je me souviens d’avoir traversé avec toi, sac au dos, le Cantal sous une pluie froide, et l’Ardèche sous la canicule.
Je me souviens que jusqu’aux années 80 tu ne parlais jamais de la guerre. Et puis tu as compris qu’il devenait nécessaire de le faire – et tu as écrit le récit mémoriel « avoir 20 ans en 1939 ».
La pandémie qui obscurcit notre monde t’a été fatale – mais il serait vain de se cacher que tu en avais assez de voir tes forces te lâcher. Ce maudit virus nous a également empêché, pour des raisons sanitaires, de réaliser ton vœu d’être enterré avec ton drapeau.
Ce drapeau, nous le remettons aujourd’hui solennellement à l’Association nationale des Anciens combattants et Amis de la résistance. »
Cette remise de drapeau a été suivi de la Marseillaise chantée par la chorale de Clermont.

Nous publierons prochainement l’hommage de l’ANACR et celui de Madame le Maire d’Airion.